Notre longue nuit

Ces derniers jours, la population qui vit dans ma tête s’est multipliée…un dommage collatéral au confinement sans doute !

Tout a commencé pour moi par le constat catastrophique que je n’allais pas pouvoir emmener ma tribu dans notre restaurant chinois favori. Quand ce genre de chose arrive à mon estomac, je redeviens une gamine capricieuse qui n’a pas ce qu’elle veut. Ma crise d’ado passée, j’ai bien dû me rendre à l’évidence : il se passait quelque chose. Quelque chose dont je n’avais pas le contrôle et qui me dépassait complètement.

Je ne pouvais plus faire semblant de ne pas savoir et que ça ne me concernait pas…

L’égoïsme dont j’ai fait preuve toute ma vie venait de voler en éclat : le danger jusqu’alors invisible concernait tout le monde. Mon monde.

Je me suis alors posée quelques minutes pour comprendre les enjeux et l’obligation que l’on me mettait sous le nez. J’avais l’impression qu’on me forçait à avoir peur, à rester enfermée, à penser comme tout le monde, à avaler des pilules de croyances diverses. (je n’ai pas mis longtemps à me rendre compte que j’avais peur et que j’étais enfermée dans mes a-priori)

Il ne s’agissait pas de nous mettre à l’abri moi et les miens (si en fait, un peu quand même), mais de mettre la planète à l’abri, et surtout les plus fragilisés.

Une seule évidence : la solidarité.

Il ne s’agissait pas de rester chez moi pour moi et les miens seulement, mais pour la planète entière. Le monde était concerné. Nous allions vivre une aventure extraordinaire, quelque chose de surréaliste, et de capital dans notre histoire.

J’ai très vite été saoulée par ce qui venait de l’extérieur : les origines (des plus complotistes gouverno-médico-politico-financier aux plus fatalistes), les remèdes (des plus chimiques au plus magiques), les explications (des plus scientifiques au plus « irrationnelles »), les prévisions (des plus alarmistes aux plus optimistes), les statistiques (des plus fiables au plus mensongères).

Les avis, conseils, menaces, indications contradictoires, chiffres empiriques, recettes, etc…pleuvent sur les écrans. Certains me font beaucoup rire, d’autres me font relativiser et d’autres encore me mettent en colère.

Pour une fois, si certains sont rassurés quand il existe un coupable, celui du moment est invisible, minuscule et commun à tous les habitants de notre planète.

Pour une fois, nous ne pouvons rien contrôler (certains essayent quand même, vite vite, de trouver LA solution miracle…).

Je me suis alors souvenue que la vie était mortelle…dangereusement mortelle. Et que ce “danger” pouvait survenir à tout moment, sous n’importe quelle forme.

Que lorsque j’avais demandé à naître dans ce monde (ma crise d’ado du « jaijamaisdemandéaveniraumondealorsalleztousvousfairefoutre » étant loin derrière), j’avais, en même temps, signé un certain arrêt de mort. Un nouveau risque de mourir venait simplement me le rappeler.

Je me suis alors aussi souvenue que je n’avais toujours pensé qu’à moi. Que ce monde contre lequel j’étais tant en colère, je l’avais aussi dessiné. Avec mes arrangements intérieurs pour me dédouaner, mes tricheries, mes fausses justifications, mes envies pas toujours très écologiques et mes mensonges. Il était temps de me mettre face au monde et d’en assumer ma pleine responsabilité…ce qui revient simplement, pour moi, à arrêter d’être en colère contre lui, et contre l’humanité (dont je fais partie…si si c’est vrai).

Je ne me rabaisserais pas à essayer d’expliquer la situation, je ne ferais que constater : nous sommes (malgré nous il parait…mais c’est loin d’être ce que j’en pense vraiment) obligé d’être confiné chez nous. Sous plusieurs formes bien-sûr : seul, en famille, dans un 2 pièces, dans un château, une villa, avec ou sans jardin, en ville ou à la campagne, avec ou sans ceux qu’on aime, avec celui ou celle que l’on n’aime plus, celui ou celle que l’on supporte, celui ou celle dont on ne peut plus se passer, celui ou celle qui nous fait peur. Bref, chacun avec sa vie. Ou un rappel de sa vie…comment dire ?

Chacun avec soi, et avec l’autre. Sans échappatoire (sauf attestation signée et tamponnée). Sans compromis. Sans masque. Sans programme. Nous ne savons pas combien de temps la situation va durer. Nous sommes loin du quai de métro sur lequel nous savons à la seconde près quand arrivera le prochain métro. Nous sommes obligés de vivre au jour le jour…

Tous mes besoins sont mis à mal : mes besoins de silence (mis à mal par l’existence visible et auditive des 5 enfants dont je suis la maman ou la belle-maman), mes besoins de solitude, mon besoin de me plaindre, de me sentir aimée par les copains, de consommer, d’acheter, de remplir, etc… Tout ce que j’allais chercher à l’extérieur, j’allais devoir le trouver à l’intérieur. De moi.

Toutes mes ressources sont mises à bien (ça se dit ça ?) : j’allais devoir user d’imagination pour mettre de la joie dans les rouages de mon quotidien autrement qu’en consommant l’extérieur.

Un vrai retour à l’essentiel…mon essentiel : Ceux avec qui je vis (et que, pour une fois, je ne peux pas refiler à quelqu’un d’autre pour leur éducation et ma paix). L’endroit où j’ai décidé de vivre. Ce que j’ai entassé, enfermé, oublié, mis sous les tapis. La banalité du quotidien. Les silences, les vrais et les faux. Les soirées qui se ressemblent. Mes envies non assouvies. Les peurs d’exprimer. L’expression de mes peurs. Mes chimères. Ce que je ressens vraiment. Ce que j’ose dire et ce que je tais. Ce qui me mets hors de moi, par mécanismes, ou pas. Ce que je ne voyais plus. Ce que je voyais trop. Ce que je ne disais plus. Ce que je n’ai jamais dit.

Pour la deuxième fois de ma vie (je vous éviterais le récit de ma première fois), alors que chacun est confiné chez lui et que nous semblons être séparés, je me sens plus unie que jamais. A chaque personne qui n’est pas moi. Tout autour de la planète.

En silence, discrètement…

En exploration intérieure. En voyage intime.

Dans le quotidien et sa douce routine. Entourée de mes êtres les plus proches.

Je pense que rien de nouveau n’est possible si nous ne faisons pas le point, si nous ne sommes pas prêts d’aller voir nos recoins les plus secrets. Le fameux adage poétique « tant que nous ne reconnaissons pas que nous faisons de la merde, nous ne pourrons pas chier des paillettes » prend tout son sens…

Nous ne sommes pas en guerre, nous sommes effrayés.

Vivre nous rappelle que nous allons mourir et que nous ne contrôlons rien du tout.

Nous ne sommes pas en guerre, nous sommes en solidarité.

Vivre nous rappelle qu’ensemble, nous pouvons tout.

Nous sommes amoureux de l’humanité. Nous essayons, maladroitement, grossièrement, profondément, avec nos trouilles et nos blessures, nos talents et nos rêves.

Notre solidarité d’aujourd’hui fera notre force de demain. Lorsque nous devrons encore nous mettre debout, nous tenir droit, lever le poing, ou s’assoir ensemble, pour faire valoir notre humanité et nos «  droits » les plus simples, nous saurons que c’est possible, tous ensemble.

Quand nous aurons fait un point sincère sur ce que l’on a appelé notre vie, nous pourrons aller de l’avant, avec d’autres manières de faire, penser, donner, réfléchir, croire, avoir …

Quant à vouloir à tout prix mettre, trouver, entendre du sens pour expliquer ce qui nous arrive, et  être moins touchés (parce que ce qu’on comprend est plus acceptable, moins effrayant. Plus contrôlable, moins surprenant. Plus agréable, moins irritant), je ne pense pas que ce soit judicieux…pas  même possible. Chacun y mettra le sens qu’il veut. Et tous les sens possibles et imaginables sont vrais. Ou pas.

Du plus fou au plus conventionnel. Peu importe, ce sera ce que l’on vit…

Il n’y a pas d’explication…il y en a autant que d’humains qui le vivent. Le plus grand sage terrestre, extra-terrestre, bouddhiste, chrétien, apache, archange, sorcier ou spécialiste en virus très très dangereux pourrait vous donner son avis sur la question, ce ne sera qu’un avis d’humain vivant un lundi 23 mars à 15h44 sur la planète terre.

Chacun vit d’une façon toute particulière la situation que l’on vit collectivement. Cette particularité parle de nous. Ne la laissons pas se noyer dans la masse d’informations dont nous sommes entourés. Faisons lui honneur car c’est notre façon particulière de comprendre le monde. Ça ne veut pas dire que c’est la vérité sur le monde mais que c’est la nôtre. Et si une des occasions de cette quarantaine est de nous connaitre encore un peu plus, le temps ne manquera pas dans les jours qui viennent, je nous rassure.

Chacun se doit de juger ce qu’il vit. C’est de cette façon qu’il saura ce qu’il vit réellement, dans sa chair et ses os. Il saura alors ses peurs, ses fausses certitudes, ses doutes. Il pourra les regarder en face et savoir qui il est. Un peu plus. Ce sera son avis. Ce qu’il vit. Fragilement. Et sereinement.

Merci à ce qui arrive ! Aux heures à remplir avec ce que l’on a, là, sous notre nez et qu’on ne voyait plus. Aux moments à passer avec ceux qui sont là, depuis toujours, ou depuis peu, et qu’on a peut-être jamais vraiment regardé. Un face à face nécessaire. Une prolongation de l’hiver. Un nouveau printemps. Une seconde chance.

Je nous souhaite donc de bien nous occuper de nos intérieurs. Nettoyer, trier, faire le point, jeter, abandonner, rénover, retrouver,…

Je nous souhaite une nouvelle façon de (se) voir, (s’)observer et (s’)écouter.

Pour re-fleurir à nouveau…comme nous l’avons toujours fait, à chaque printemps. Car le printemps revient toujours, avec ou sans nous.

Je nous souhaite de bien nous occuper de nous, des nôtres, et donc des autres…

Pendant que les bourgeons s’ouvrent, que les pétales s’étendent, que les oiseaux reviennent de leur long voyage, que les écureuils grignotent leurs dernières réserves, que le pollen féconde et que la planète s’éveille de son long rêve…